Planeur...

 

1964

 

Fin de nuit et premières lueurs de l’aube ,

nous avons quitté une soirée ennuyeuse pour finir de se saouler dans un bar de la rue des prostituées de Brême , le seul encore ouvert…une clientèle de filles fatiguées et de noctambules en quête d’affection…les Sinalco-Korn succédant aux Schnaps , je ne sais plus ni qui je suis ni où je suis .

Andreas salue à la ronde et m’entraîne vers sa voiture en titubant , difficile de dire lequel soutient l’autre . Je m’affale sur le siège et me laisse aller contre la portière dans un état semi-comateux , tandis qu’il met le moteur en route je sombre doucement dans l’inconscience.

Le froid me réveille , ma portière est ouverte et Andreas me tire à l’extérieur , je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où nous nous trouvons , c’est d’ailleurs le cadet de mes soucis , la seule chose dont je suis sûr , c’est qu’il ne nous a pas ramené à la maison….pourtant à ce moment précis , je n’aspire qu’à m’écrouler sur un bon lit et qu’on me laisse cuver tranquillement.

 

Nous avançons cahin-caha dans un vaste espace dégagé entouré d’arbres , sans constructions , vers une forme blanchâtre qui se découpe en silhouette fantasmagorique dans la pâle lueur brumeuse du petit matin.

Je claque des dents , j’ai froid et ne me sens pas bien , je me demande si je rêve ou je suis éveillé tandis qu’Andreas fait glisser le cockpit vitré de ce qui me semble être un avion , il me pousse à l’intérieur et entreprend de m’attacher au fauteuil à l’aide de sangles qui pendent un peu partout . Je ne comprend pas , je ne comprend rien , je me laisse faire , c’est plus facile que de protester , d’ailleurs tout m’est égal, je ne suis même pas sûr d’être là en ce moment , je rêve …. Un rêve bizarre que j’aurai probablement oublié au réveil.

J’entend qu’il me parle, des mots pâteux qui se fraient un laborieux passage jusqu’à mon cerveau embrumé .

-Tu ne touches à rien , et surtout tu ne vomis pas , sinon tu dois payer une caisse de bière !!!-

C’est la dernière chose que je crois entendre avant qu’il ne referme d’un claquement sec le toit de mon cercueil de verre , c’est l’exacte impression que j’ai , à demi allongé dans un étroit fourreau transparent, un étrange manche de bois entre les genoux .

 

Une sourde inquiétude commence à me gagner à mesure que progressivement je me rend compte du surréalisme de la situation.

Quelques mètres devant moi , une camionnette de dépannage se met en branle , déroulant derrière elle un fil de remorque qui se tend brusquement alors que moi aussi je me met à rouler.

Nous prenons de la vitesse et j’ai la sensation de quitter le sol , je ne vois plus la voiture , seulement l’extrémité du fil qui nous relie comme un cerf-volant , je monte toujours et dépasse bientôt de beaucoup la cime fantomatique des arbres. J’aperçois les lumières de la ville encore noire sous le ciel qui rougeoie du côté du levant . Anxieux je regarde partout , les vapeurs d’alcool insuffisantes pour annihiler la panique qui me gagne….un grand choc me propulse soudain dans les airs , collé au siège , vert de peur , les tripes nouées , je sens l’appareil bondir comme un ascenseur fou….je comprend que le fil s’est décroché et que plus rien ne me relie au sol.

 

Dans un silence impressionnant , j’évolue très haut , au-dessus de Brême , entre mes jambes je vois scintiller le fleuve comme un ruban argenté au milieu des toits et des clochers qui se teintent de rose à mesure qu’ils émergent de la nuit , le ciel , tout à l’heure bleu sombre s’éclaire de plus en plus et je glisse parmi des nuages aux reflets d’arc-en-ciel….c’est grandiose , irréel , magique , j’en oublie ma peur , devant moi le manche oscille de droite à gauche faisant mollement tanguer la cabine d’un bord sur l’autre , instinctivement je tend la main pour l’immobiliser….une tape sur l’épaule me fait sursauter..

-On ne touche à rien !!!-

Je suis sidéré…je ne suis pas seul , quelqu’un derrière moi me parle , et manifestement contrôle nos évolutions….tout à fait dégrisé maintenant , je pousse un profond soupir de soulagement et me laisse aller , subjugué , à admirer la splendeur du spectacle , tandis que la voix inconnue met des noms sur la mosaïque de plus en plus colorée qui défile en silence sous nos pieds.

 

Comme un grand oiseau aux ailes déployées , l’appareil glisse en douceur dans l’herbe grasse et humide avant de s’immobiliser sans bruit….des gens courent vers nous….Andreas fait coulisser la coque de plexiglas et me détache….les jambes flageolantes j’enjambe le rebord de toile blanche et pour lapremière fois , regarde derrière moi….un blond moustachu me sourit de toutes ses dents et me tend la main tandis qu’il saute à terre à son tour .

- Tu connais mon frère ! – lâche Andreas sur un ton laconique avant de m’entraîner vers sa Volkswagen garée un peu plus loin , à l’entrée du terrain d’aviation.

 

 



17/03/2007
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