Au début des années 50 , on commençait à parler de la télévision , les postes étaient rares, si beaucoup en connaissaient l'existence , peu avaient eu la chance de la regarder.
En sortant du Lycée , je tordais le cou devant la boutique TELE AVIA pour tenter d'apercevoir un récepteur en démonstration , j'entrevoyais une image de mauvaise qualité en noir et blanc , presque ronde , mouchetée de parasites blancs lumineux...c'était fascinant..

Les parents d'un copain se sont offert un poste , le premier du quartier . Le jeudi nous nous retrouvons chez lui , toute une bande , assis par-terre , la bouche pendante , à suivre les aventures de Zorro , jamais auparavant ce copain n'avait été aussi populaire et courtisé , jamais je n'ai pris autant de précautions à ne pas me fâcher avec quelqu'un .

Quelques mois plus tard , un soir en rentrant des cours , elle était là .
Papa n'avait pas su résister...maman n'était pas d'accord , c'était cher , on n'avait pas les moyens , c'était une folie...mais Elle était là, dans un coin de la salle à manger , elle trônait , royale.
La nouvelle avait couru les étages , par grappes les voisins venaient admirer , comme un magicien , mon père tournait le bouton , faisait jaillir l'image en mouvement , plein de supérieure suffisance devant la tête médusée des locataires de l'immeuble.
Trés vite s'en fut fini de notre tranquilité , chaque soir quelqu'un sonnait à la porte , entrait sa chaise à la main et s'installait devant la télé , peu importe le programme , que ce soit "36 chandelles" , "La piste aux étoiles" ou "La caméra explore le temps"...nous refusions du monde...les chaises envahissaient la pièce , le buste en avant , captivés ...pas un ne parlait jusqu'à la fin de l'émission... je les soupçonnais d'être d'avantage hypnotisés par l'image scintillante que par le contenu de ce qu'ils venaient de voir , ils repartaient envoûtés , tels des zombies , en nous disant..-merci et à demain...
Jean Nohain , Fernand Raynaud , Robert Rocca ou Jacques Grello faisaient désormais partie de la famille , ils nous démontraient qu'il existait une vie palpitante au-delà de nos murs .

La radio , oubliée sur son étagère n'intéressait plus personne , pourtant il n'y a pas si longtemps , c'était elle la vedette , elle nous en a fait vivre des émotions , comme ce triste soir où nous avons appris la mort de Marcel Cerdan et Ginette Neveux au large des Açores , les femmes de la maison s'en fichaient , mais papa et moi avions le coeur en berne , j'avais fait un grand dessin du boxeur , le regard charbonneux , les poingts serrés , le torse velu au-dessus de sa ceinture de champion du monde , que j'avais aussitôt épinglé en hommage à la tête de mon lit .